« C’est l’temps ! »

Dans la foulée de la Commission royale d’enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme, le premier ministre de l’Ontario, John Robarts, s’engage en 1967 à offrir des services en français. Son successeur, Bill Davis, prend en 1971 le même engagement d’offrir un accueil et des services administratifs et judiciaires en français, là où le nombre le justifie. Mais les réformes sont lentes. Des jeunes d’Ottawa s’impatientent. Ils orchestrent une campagne de désobéissance civile qui changera le cours de l’histoire de l’Ontario français.

La contestation s’amorce par des actions isolées. Le 15 mai 1975,  un simple citoyen, Raymond DesRochers, comparaît devant les tribunaux de la province parce qu’il refuse de renouveler l’immatriculation de son véhicule sur un formulaire rédigé en anglais. Il a été arrêté parce qu’il circulait avec des plaques d’immatriculation périmées.  Le 13 juin, Jacqueline Pelletier est, quant à elle, emprisonnée parce qu’elle a refusé de payer sa contravention écrite en anglais seulement. Ces gestes de résistance individuels se transformeront bientôt en action collective. Une vingtaine d’autres récalcitrants seront emprisonnés au cours de la prochaine année, à Ottawa ainsi qu’à Sudbury.

Le retentissement des premiers emprisonnements convainc les contestataires de fonder un mouvement plus structuré, dont l’action s’étendra à toute la province. Le mouvement C’est l’temps voit le jour à l’automne 1975. Il n’exige rien de moins que la reconnaissance officielle des francophones comme citoyens à part entière. Dans l’immédiat, il revendique le droit fondamental des Franco-Ontariens de s’exprimer librement (c’est-à-dire sans traducteur interposé) devant les tribunaux de leur province. Il demande en outre que les codes civil et criminel de l’Ontario soient accessibles en français, comme ils le sont d’ailleurs au Québec et au Nouveau-Brunswick.  Les dirigeants du mouvement invitent les francophones de la province à refuser de témoigner en anglais devant les tribunaux et à exiger un exemplaire en français de tout document légal. Ils les enjoignent d’exiger des permis de conduire bilingues, des contraventions bilingues, des formulaires de changement d’adresse bilingues, la publi­cation des règlements municipaux en français et en anglais.

Le mouvement C’est l’temps connaît l’un de ses moments les plus forts lorsque quatre de ses membres, Yvon Langlois, Guy Béland, Jean-Guy Giroux et André Lafrance, sont libérés de la prison de Blackburn Hamlet dans l’est d’Ottawa, le 22 novembre 1975. Ils y avaient été mis sous verrous pour avoir refusé de payer des contraventions rédigées en anglais seulement. Une manifestation a lieu devant les portes de la prison pour souligner leur libération. La scène est retransmise à la télévision.  L’appui au mouvement C’est l’temps vient de partout.

La bataille se poursuivra jusqu’à l’été 1976 à coups d’emprisonnements, d’interventions dans les médias, de rencontres avec les hauts dirigeants de la province. Puis le mouvement s’essouffle, alors que le gouvernement de l’Ontario affiche une volonté certaine d’en finir avec la culture de l’unilinguisme, à la veille du référendum sur la souveraineté-association qui s’annonce dans la province voisine.

i

Manifestation lors de la remise en liberté de quatre membres du mouvement C'est l'temps!. Prison de Blackburn Hamlet, 22 novembre 1975. Yvon Langlois, Guy Béland, Jean-Guy Giroux, Jacqueline Pelletier et André Lafrance. Photo : François Roy, Le Droit.

Université d'Ottawa, CRCCF, Fonds Le Droit (C71), Ph92-1532-30529-8.

Photographie en couleur de quatre hommes et d’une femme d’âge mûr, à l’avant d’un groupe de manifestants. Ils sourient et tiennent des pancartes où il est écrit : « Vos promesses, M. Davis ? C’est l’temps. On est 600 000 ! »