Le curé Jean-Baptiste-Théodore Alleau a de grandes ambitions pour sa jeune paroisse lorsqu’il en prend les rênes en 1873. Dès que l’église Sainte-Anne est prête pour ses premiers offices, il décide de lui annexer une salle, qui servirait de lieu de rencontre pour ses paroissiens. La salle Sainte-Anne sera construite l’année suivante, en 1874. Avec ses aires de divertissement, ses espaces de bureau et de réunion, son auditorium pour les spectacles, les conférences et les grandes fêtes, la « salle des Francs-Canadiens », comme on l’appelait alors, deviendra un haut lieu de la vie française d’Ottawa.
Les représentations théâtrales organisées par le « Cercle de la salle », fondé en 1890, connaissent un vif succès. L’immeuble est agrandi et on ajoute une nouvelle scène en 1894, qui est inaugurée avec la présentation du drame Les pirates de la savane, de l’auteur français Anicet Bourgeois. Parmi les autres représentations mémorables, on compte Félix Poutré, jouée en 1904. On ne savait pas encore que celui qu’on considérait alors comme un héros de la rébellion de 1838 était plutôt un traître à la solde des autorités et que ses « souvenirs », dont s’était inspiré Louis Fréchette pour écrire la pièce, en étaient de faux. Félix Poutré était présentée dans tout le Canada français à l’époque. Elle en sera bannie plus tard.
Le succès de la salle est tel que les paroissiens, réunis en 1911, décident de réaliser une nouvelle construction, de brique cette fois, sur trois étages et longeant l’église à l’ouest, entre la rue Saint-Patrick et le carré Anglesea. Le nouveau bâtiment est inauguré en 1912, à la veille de la promulgation du Règlement XVII. L’historique de la paroisse, préparé par Lucien Brault à l’occasion de son centenaire, fait davantage état des conférenciers qui s’y font entendre en cette période trouble de notre histoire – Lionel Groulx, Henri Bourassa – que de ses activités culturelles.
Endommagé par un incendie en novembre 1920, l’édifice est aussitôt remis en état, et on y célèbre le 50e anniversaire de fondation de la paroisse. Mais il est reconstruit sans amphithéâtre. Il faudra attendre 1932, alors que la salle est à nouveau la proie des flammes, pour que la salle Sainte-Anne retrouve une salle de spectacle avec théâtre, « munie d’accessoires modernes1». Le grand projet de rénovation de la Basse-Ville des années 1960 aura finalement raison de ce qui a été jadis un centre important de la vie française de la capitale. Le quartier se vide, la paroisse languit. La salle Sainte-Anne est démolie en 1982.
1 Lucien Brault, Sainte-Anne d’Ottawa. Cent ans d’histoire. 1873-1973, Ottawa, Imprimerie Beauregard, 1973, p. 55.