Choisie comme capitale du Canada-Uni en 1857, Ottawa se développe. La construction du futur parlement et des édifices des ministères accélère la croissance du commerce et de l'industrie du bois. Entre 1851 et 1861, la population passe de 7 760 à 14 669 résidents, puis à 21 545 dix ans plus tard, soit une hausse totale de 178 %. La croissance du groupe francophone est plus importante que celle de la population totale : de 2 056 en 1851 à 7 214 en 1871, soit 200 %. Les Canadiens français, parmi lesquels des fonctionnaires venus travailler dans la nouvelle fonction publique, forment alors le tiers de la population d'Ottawa. Leur nombre continuera d’augmenter au rythme de la croissance de l’activité gouvernementale, pour atteindre 68 459 en 1961. Ils ne compteront plus alors que pour le quart de la population d’Ottawa.
Au lendemain de la Confédération, Ottawa est divisée socialement et ethniquement, comme bien d’autres villes nord-américaines. Les Anglais et les Écossais se répartissent assez bien entre les différents quartiers de la ville, alors que les quatre cinquièmes des Canadiens français habitent dans la Basse-Ville. Ils forment la majorité de la population du quartier depuis la naissance de Bytown. Plusieurs d’entre eux vivent à l’ouest de la colline du Parlement, sur les plaines LeBreton, où ils sont à l’emploi de J.R. Booth, alors le plus grand producteur de bois d’œuvre au monde. Quant aux Irlandais, ils ont aussi investi la Basse-Ville, qui accueille le plus fort contingent du groupe. Ils constituent une proportion importante de la population du quartier « Centre Town », et sont particulièrement nombreux dans la zone qui s’étend au sud du Parlement. On ne verra d’autres groupes (Allemands, Italiens, etc.) s’imposer dans le paysage ethnique qu’au tournant du xxe siècle.
Une division selon les classes sociales se superpose aux clivages ethniques. S’appuyant sur un sondage réalisé en 1871, l’historien John Taylor relève que « les fonctionnaires qui se situent au bas ou au milieu de l’échelle des salaires se concentrent pour les catholiques, Canadiens français et Irlandais, dans la Basse-Ville, pour les protestants dans la Haute-Ville1 ». Ceux qui se situent en haut de l’échelle des salaires sont nombreux à habiter la Côte-de-Sable (St.George’s), un quartier dont le développement a été stimulé par la croissance de la fonction publique. Ici toutefois, on n’observe aucune trace de ségrégation selon la religion ou l’origine ethnique, celle-ci n’affectant pas, semble-t-il, le haut de la pyramide sociale.
Les populations d’Ottawa ne bénéficient pas toutes de la même qualité de vie. Taylor a compilé à cet égard des données troublantes. En 1885, 43 % des décès à Ottawa sont survenus chez les Canadiens français qui ne comptent pourtant que pour 34,2 % de la population de la ville, selon le recensement. À la Basse-Ville, le district By, où ne vit que 18,1 % de la population d’Ottawa, est de loin celui où l’on compte le plus de décès, soit 37,9 %2. De nombreux enfants meurent en bas âge, comme David Émile Neveu, mort le 14 septembre 1895, « après trois mois de maladie ». Son père Jean-Baptiste, commis de magasin, qui vient d’emménager dans le quartier, perd avec lui le troisième de ses sept enfants.
1 John H. Taylor, Ottawa, an Illustrated History, Toronto, James Lorimer & Company Publishers et le Musée canadien des civilisations, 1986, p. 84. Traduction libre.
2 Ibid., p.212.
La rue Rideau, vue de la colline du Parlement où débute la construction de l'Édifice de l'Est (Parlement du Canada-Uni), [ca 1861]. Photo: Samuel McLaughlin.
Source : Bibliothèque et Archives Canada, Historical photographs of individuals and groups, events and activities from across Canada collection [graphic material], (R8239-0-9-E), C-000610.