Sauvons l'hôpital Montfort

Le 24 février 1997 est un jour sombre dans l’histoire des francophones d’Ottawa. La Commission de restructuration des services de santé de l’Ontario annonce la fermeture de l’hôpital Montfort. « J’ai appris la nouvelle par Radio-Canada, au Ce soir, animé par Michel Picard. Je ne pouvais le croire ! C’était presque incroyable, parce que Montfort existait depuis 43 ans1», de raconter Gisèle Lalonde, ancienne mairesse de la ville de Vanier, qui prendra la tête de S.O.S. Montfort. Ce groupe mènera une lutte acharnée pour sauvegarder le seul hôpital francophone universitaire à l’ouest du Québec.

L’annonce provoque une onde de choc chez les francophones d’Ottawa. Ils ne croyaient pas que la « Révolution du bon sens » annoncée par le gouvernement Harris pour redresser les finances publiques conduirait à des décisions aussi lourdes de conséquences pour la communauté franco-ontarienne.

La mobilisation s’organise rapidement. À peine un mois plus tard, le 22 mars, se tient un des plus importants ralliements de l’histoire de l’Ontario français, au Centre municipal d’Ottawa. On vient de partout dans la province pour manifester son attachement à Montfort. Le lendemain, Le Droit publie une très rare édition du dimanche consacrée à cet événement historique. Toute l’équipe de rédaction du quotidien est à pied d’œuvre.  « Une foule survoltée fait vibrer le Centre municipal pour sauver l’hôpital Montfort2», titre Le Droit, à la page A3. « Plus de 10 000 Franco-Ontariens ont tenu leur rendez-vous avec l’histoire (...) Jamais !, ils ont répété. Jamais ! La communauté franco-ontarienne ne permettra la fermeture de l’hôpital Montfort, son hôpital », de rapporter Denis Gratton.

Malgré les pressions, le gouvernement de l’Ontario refuse d’abdiquer, prétextant que les Franco-Ontariens obtiendraient d’aussi bons services en français à l’Hôpital général d’Ottawa. Le recours aux tribunaux s’impose comme la meilleure option. On embauche l’avocat Ronald Caza pour défendre la cause Montfort, inscrite officiellement dans les annales judiciaires sous le nom de Lalonde c. Ontario (Commission de restructuration des services de santé). La cause sera entendue par trois juges de la Cour divisionnaire de l’Ontario en juin 1999. Ils rendent une décision unanime quelque six mois plus tard : « Nous sommes d’avis que l’existence d’un tel centre hospitalier est essentiel à la préservation de la culture de la minorité franco-ontarienne, ainsi qu’à la prestation continue de services médicaux et de formation médicale adéquats en français3».  À Montfort et un peu partout au Canada français, c’est l’euphorie. Mais on déchante deux semaines plus tard en apprenant que le gouvernement Harris fait appel de la décision.  

Les audiences de la Cour d’appel de l’Ontario ont lieu en mai 2001. Le juge en chef de la Cour d’appel, Roy McMurtry, accepte la requête de Radio-Canada pour qu’elles soient diffusées en direct, vu la très grande importance de la cause pour la communauté franco-ontarienne. La décision de la Cour d’appel est rendue en décembre : l’hôpital Montfort est un établissement « essentiel à la communauté franco-ontarienne », et il faut le protéger.

En février 2002, le gouvernement de l’Ontario annonce qu’il se rend au jugement de la Cour d’appel. Gisèle Lalonde se souvient de ce qu’elle a ressenti en apprenant la nouvelle : « Cette fois, c’était vrai. Montfort fermé : jamais ! Nous avions gagné. Nous n’étions pas nés pour un petit pain4».

 

 

1 Marco Dubé, De Mahé à Summerside. Entretiens. Ottawa, Le Nordir, p. 123.

2 Denis Gratton, « 10 000 fois Jamais! », Le Droit, 23 mars 1997, p. A3.

3 Lalonde c. Ontario (Commission de Restructuration des Services de Santé). Jugement de la Cour divisionnaire, 29 novembre 1999. 

4 Michel Gratton, Gisèle Lalonde. Grande dame de l’Ontario français. Ottawa, Centre franco-ontarien de ressources pédagogiques, 2011, p. 81.

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Manifestation pour S.O.S. Montfort dans les rues d'Ottawa. Madeleine Meilleur (conseillère municipale de Vanier), Gisèle Lalonde (présidente de S.O.S. Montfort), Mauril Bélanger (député libéral fédéral, Ottawa-Vanier) et en arrière-plan, Bernard Grandmaître (père de la loi 8), 16 mars 1997. Photo : Étienne Morin, Le Droit.

Université d'Ottawa, CRCCF, Fonds Le Droit (C71), Ph92-13-160397montfort-18.

Photographie en couleur de trois femmes et de trois hommes d’âge mûr, se tenant bras dessus, bras dessous. Ils marchent à la tête d’une manifestation, en pleine rue. Un manifestant porte une pancarte qui se lit : «Montfort fermé : Jamais ! ». La foule agite des drapeaux franco-ontariens.