Les plaines LeBreton malmenées par l'histoire

En avril 2016, la Commission de la capitale nationale (CCN) a donné le feu vert au groupe RendezVous LeBreton, piloté par Eugene Melnyk, propriétaire des Sénateurs d'Ottawa, pour la réalisation du projet IllumiNATION LeBreton. Ce projet vise à créer cinq nouveaux quartiers qui seront développés autour d'un centre événementiel et de divers autres lieux publics, autour d’un aqueduc actuellement enfoui qui remonte à l’époque où le quartier faisait partie d’un des plus grands complexes industriels du Canada.

Encore couvertes de buissons en 1850, les plaines LeBreton étaient devenues vingt ans plus tard un haut lieu de l’industrie forestière et accueillaient une importante population ouvrière. Les francophones comptent alors pour près du tiers de cette population, poids qu’ils auront toujours en 1901.

Les plaines LeBreton connaîtront une histoire mouvementée. D’abord touché par la dépression au début des années 1890, le quartier est complètement rasé par les flammes en avril 1900 lorsqu'un incendie se déclare dans la cheminée d'une résidence à Hull. « Avec le vent qui souffle à plus de 50 km/h, des tonnes de bois cordé, une fabrique d'allumettes et de grands rouleaux de papier, l'incendie se propage rapidement1». Le feu s’étend jusqu’au lac Dow. C’est la désolation. Mais le quartier du « Flatte », comme on l’appelait alors, renaît rapidement de ses cendres. Dès le lendemain du désastre, l’industriel J. R. Booth, maître incontesté des lieux, fait parvenir à ses employés atterrés ce télégramme : « Ramassez les débris [et] préparez-vous à reconstruire2». Les usines sont rebâties, les ouvriers reviennent, les commerces rouvrent leurs portes.

Le quartier sera encore une fois rayé de la carte, cette fois non plus par accident mais par choix. L’industrie du bois est alors en déclin et le quartier, dont on n’a pas renouvelé les infrastructures, n’a pas fière allure. Le parc de logements, dans ce quartier resté ouvrier, est en piètre état. Le 17 avril 1962, le gouvernement fédéral de Diefenbaker annonce un projet de rénovation urbaine pour les plaines LeBreton. Suivant les recommandations de l’architecte Jacques Gréber, la Commission de la capitale nationale exproprie 65 hectares de terrain, soit environ 2 800 maisons. Selon l’historien et archiviste Michel Prévost, de 3 000 à 5 000 personnes seront déplacées. L’opposition des citoyens n’y peut rien.

Cette fois, les plaines LeBreton ne renaîtront pas. Plusieurs plans de redéveloppement ont été étudiés au fil des ans, dont certains pans ont été mis en œuvre. Le Musée canadien de la guerre a été inauguré en 2005, quelques logements de luxe ont été construits. Mais la plus grande partie des terrains où plusieurs générations de francophones ont grandi, fondé une famille, travaillé, ri et pleuré, restent vacants. L’hiver, ils servent de dépotoir à neige. L’été, ils accueillent des événements ponctuels, dont le Bluesfest d’Ottawa, le Festival de la jeunesse d’Ottawa, des concerts de musique classique ou des performances du Cirque du Soleil. Est-ce qu’IllumiNATION LeBreton redonnera enfin vie à ce qui fut jadis un des hauts lieux de la vie française d’Ottawa?

 

1 Radio-Canada.ca, Ici Ottawa-Gatineau, L’histoire méconnue des plaines Le Breton, le 24 janvier 2016. 

2 Commission de la capitale nationale, LeBreton Flats - Past, Present and Future | Les plaines LeBreton - le passé, le présent et l’avenir, s.d.

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Vue de la rue Queen, direction ouest, lors de l'incendie d'Ottawa-Hull en 1900, [ca 26 avril 1900]. Le grand feu de 1900 rase une partie du quartier et marque le paysage urbain, six décennies avant la mise en exécution du plan Gréber.

Source : Bibliothèque et Archives Canada, Booth family album [graphic material], PA-120334.

Photographie en noir et blanc d’une grande foule dans une rue menacée par la fumée. Certains sont en boghei avec leurs biens. Des pompiers arrivent en boghei.